Décryptage de l’Article 6 de l’Accord de Paris
La COP29 de Bakou s’est achevée le 23 novembre 2024 sur un bilan mitigé. Bien qu’un nouvel objectif de financement ait été adopté afin d’aider les pays en développement et les plus vulnérables à protéger leurs populations et leurs économies, les résultats demeurent largement insuffisants au regard des enjeux majeurs que pose le(s) changement(s) climatique(s).
C’est notamment dans le domaine des marchés carbone que la COP29 a produit de réelles avancées réglementaires. Après une décennie de travaux et de négociations, les parties prenantes sont parvenues à un accord sur les derniers éléments définissant le cadre de fonctionnement des marchés du carbone dérivant de l’Accord de Paris. Ceci doit permettre de rendre pleinement opérationnels les échanges de pays à pays (Article 6.2) ainsi que le dispositif, créé en vertu du paragraphe 4 de l’article 6 de l’Accord de Paris, qui organise le marché volontaire du carbone.
Rappels sur l’article 6 de l’Accord de Paris
L’article 6 de l’accord de Paris vise à mettre en place et à encadrer des mécanismes de coopérations entre les différents acteurs de la transition écologique. Le but ultime étant de faciliter l’atteinte des engagements volontaire des pays (CDN, pour Contributions Déterminées Nationales). L’article 6 est divisé en différents paragraphes et distingue 3 approches :
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- L’approche coopérative (6.1, 6.2, 6.3): celle-ci permet à des pays d’échanger leurs résultats d’atténuation entre eux afin d’atteindre leur CDN. Concrètement, un pays pourra décider de renoncer à une part de ses efforts d’atténuation pour les céder à un autre pays. On parle de « résultats d’atténuation transférés au niveau international » (ITMO en anglais pour Internationally transferred mitigation outcomes), l’équivalents de quotas qui représentent chacun 1 tonne de CO2
- L’approche de contribution à l’atténuation des émissions (6.4 à 6.7): Adopté dès le premier jour de la COP29, ce dispositif consiste en un cadre normatif placé sous l’égide des Nations Unies : le mécanisme de l’Article 6.4. Son intitulé précis est « Mécanisme d’attribution de crédit de l’Accord de Paris (PACM en anglais pour Paris Agreement Crediting Mechanism) ». Il permet à des acteurs publics et privés de contribuer aux efforts de réduction des pays en finançant des projets. Il s’agit ici d’acheter ou d’échanger des crédits carbone issus de projets de réduction ou de séquestration carbone.
- L’approche non basée sur des mécanismes de marché, celle-ci doit permettre à des pays de collaborer à l’atteinte de leurs engagements sans qu’il n’y ait de transaction. Il s’agit ici de partages d’expérience, de transferts de technologies ou de renforcement de capacités par exemple.
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Il est important de rappeler que toutes ces approches restent volontaires et ne peuvent se faire qu’avec l’accord de tous les pays ou acteurs impliqués.
L’Article 6 de l’Accord de Paris
- Présentation du contenu de l’article 6 de l’Accord de Paris
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Comment éviter le double comptage ?
Le premier enjeu dans le cadre de l’article 6 est d’éviter le double comptage des efforts d’atténuation. Une fois qu’une tonne de CO2 est comptabilisée dans l’inventaire d’un pays, il est essentiel qu’elle ne soit pas prise en compte par un deuxième pays au risque de ne pas atteindre les objectifs mondiaux fixés par l’accord de Paris. Pour cela, à chaque ITMO ou crédit carbone sera associé un ajustement correspondant. Cet ajustement sera fait par le pays cédant ses tonnes de CO2 pour s’assurer qu’il ne les utilise plus pour atteindre ses propres objectifs.
Exemple : La France cède 10 tonnes de CO2 au Chili. Elle devra donc ajouter ces 10 tonnes à son inventaire avant que le Chili ne puisse les enlever au sien.
Dans le cadre d’une transaction entre un état et une entreprise, si un crédit est certifié dans le cadre d’article 6.4 de l’accord de Paris il devra également faire l’objet d’un ajustement de la part du pays hôte.
Exemple : Une entreprise Française ne pourra acheter un crédit « certifié article 6.4 » issu d’un projet basé en Inde qui si l’Inde accepte d’ajouter un ajustement à son inventaire.
Cet enjeu de double compte est particulièrement important car dans le cadre de l’Accord de Paris, tous les pays se sont fixés des objectifs d’émission de gaz à effet de serre. Les déclarations de chaque pays doivent ensuite être agrégées et une même tonne de CO2 ne doit pas être présente plusieurs fois. Des règles ont également été définies pour que les ITMO ne puissent pas être conservés pars les pays au-delà d’une certaine période afin de ne pas repousser les efforts d’atténuation. Les précautions prises à la COP26 devraient permettre d’éviter ces problèmes de comptabilité.
En parallèle, dans le cadre de l’article 6.4, pour s’assurer que le mécanisme permet bien d’accélérer la réduction des émissions, chaque enveloppe de crédits cédée par un pays sera imputée de 2% de son volume total. Cela signifie que 2% des crédits seront « annulés » et qu’ils ne seront utilisées par personne. Ce pourcentage est encore faible mais pourrait être amené à augmenter dans le futur.
Enjeux d’articulation du marché carbone avec les objectifs de développement durable
Il est souvent reproché au marché carbone, à l’instar de l’ensemble de la finance climat, de délaisser la thématique de l’adaptation aux changements climatiques. Pour commencer à mettre le sujet sur la table, l’article 6.4 prévoit que 5% des crédits générés soient automatiquement prélevés et mis à disposition d’un fond au service de l’adaptation aux changements climatiques. D’autres contributions pourraient également être demandées dans le cadre de la certification et seront déterminées dans le futur.
L’ensemble des décisions relatives à l’article 6 de l’Accord de Paris souligne l’importance des droits humains ainsi que de l’intégrité environnementale et sociale des projets menés dans le cadre du mécanisme. Dans le texte adopté à la COP29, ces principes se traduisent notamment par une obligation, pour les projets relevant du mécanisme de l’article 6.4, de réaliser les vérifications nécessaires pour garantir le respect des droits environnementaux et des droits de l’homme, ainsi que d’obtenir le consentement explicite des peuples autochtones concernés. En outre, le mécanisme prévoit la possibilité pour toute personne affectée par un projet de déposer plainte ou de faire appel d’une décision. Ces dispositions doivent poser les bases d’un outil de développement durable intégré au mécanisme de l’article 6.4.
Quelle futur pour les mécanismes existants ?
L’adoption de l’article 6.4 et toutes les nouvelles caractéristiques de ce mécanisme pose la question de l’avenir du Mécanisme de développement propre de l’ONU (CDM en anglais pour Clean development mecanism) qui date des accords de Kyoto. Il a été décidé à Glasgow que le CDM ne pourrait plus certifier de nouveaux projets afin de totalement céder sa place à l’article 6.4. Ainsi, jusqu’à 2023, les nouvelles candidatures seront mises en attente par le CDM avant de vérifier qu’elles sont bien éligibles à l’article 6.4.
Cependant, une période de transition est inévitable en attendant que l’article 6.4 soit complètement opérationnel. Les projets déjà certifiés pourront continuer à générer des crédits jusqu’à leur transfert sous le mécanisme de l’article 6. Ces crédits, ainsi que tous ceux générés depuis 2013 et pas encore vendus, pourront être utilisés dans le cadre de l’article 6.4. C’est là un point important car cela représente environ 300 millions de tonnes de CO2 qui ne feront pas l’objet d’ajustement de la part du pays hôte.
L’article 6.4, un cadre en évolution
D’ici la mise en œuvre concrète de l’article 6.4, il reste encore de nombreux aspects méthodologiques à traiter du côté de l’ONU (critères d’éligibilité des projets, méthodologies de calcul, mise en place d’un registre, etc.). Par exemple, il n’a pas encore été décidé si les émissions évitées (par rapport à une projection et non une situation initiale réelle) seraient éligibles à l’article 6.4. Les standards existants (GoldStandard, Verra) seront des acteurs importants dans ces discussions. Ceux-ci pourraient également aligner leurs exigences aux critères de l’ONU, par exemple en développant une offre de crédits compatibles avec l’article 6.4 (avec ajustement du pays hôte).
L’ensemble des marchés carbone existants vont devoir décider s’ils n’acceptent que des crédits carbone issus de l’article 6.4 ou s’ils étendent leurs critères à des standards indépendants. Pour les marchés réglementés, quoi qu’il arrive, un crédit comptabilisé par un état dans le cadre de l’Accord de Paris devra être associé à un ajustement correspondant. Dans le cadre de la contribution à la neutralité carbone volontaire, chaque entreprise pourra encore choisir si elle décide d’acheter des crédits « article 6.4 » (associés à un ajustement de la part d’un pays hôte) ou si elle passe par un autre standard carbone
Bien qu’adopté lors de la COP29, l’article 6.4 – qui représente une avancée majeure – nécessite encore que soient détaillées ses modalités de mise en oeuvre. Ce travail est en cours, piloté par le Supervisory Body (SBM), l’organe de surveillance, qui a vocation à se réunir régulièrement afin de veiller à la mise en oeuvre et au bon fonctionnement du dispositif issu de l’article 6
À ce jour, les méthodologies du PACM (Mécanisme d’attribution de crédit de l’Accord de Paris) sont toujours en cours d’élaboration, tout comme le registre associé à l’article 6.4, qui reste en phase de développement. Néanmoins, l’ONU a commencé à transférer dans le cadre du PACM les crédits issus du Mécanisme de Développement Propre(MDP, dispositif de mise en oeuvre du Protocole de Kyoto), ce qui suscite quelques controverses étant donné leur âge. Si cette volonté est maintenue, les crédits carbone générés par ces anciens projets figureront parmi les premiers disponibles sur le registres de l’article 6.4.
Et en Europe ? Le Carbon Removal Certification Framework (CRCF)
Parallèlement aux mécanismes tirés de l’article 6.4 de l’Accord de Paris, l’Union européenne a décidé de se doter de son propre règlement, concernant spécifiquement les projets de séquestration sur son territoire : le Carbon Removal Certification Framework (CRCF).
Premier règlement établissant un cadre global pour la certification de projets d’élimination du carbone au sein de l’UE, le CRCF vise, à l’instar de l’article 6.4, à rendre plus robuste et ainsi soutenir cette partie du marché carbone. Il instaure des règles communes ainsi que des modalités d’évaluation universelles et fiables, dans le but d’améliorer le fonctionnement et la transparence du marché.
Le CRCF se distingue de l’article 6.4 en ciblant exclusivement, à ce stade, l’absorption permanente et le stockage du carbone dans les secteurs agricoles et forestiers. Cette approche sélective reflète, la volonté, en Europe, de concentrer les financements sur ces domaines jugés prioritaires par l’Union.
Les nouveaux cadres normatifs proposés par l’article 6.4 et le CRCF ont pour ambition de stimuler la finance carbone et de faire émerger de nouvelles opportunités économiques. Néanmoins, la multiplication des normes pourrait nuire à la lisibilité du marché et compromettre cet objectif. Il est donc essentiel que les instances chargées de superviser ces mécanismes veillant à la cohérence des méthodologies entre elles, et, dans la mesure du possible, à leur complémentarité.